jeudi 14 février 2013

Mine d'argent de Potosi

L'Enfer est sur Terre, sous terre pour être plus précis.

La mine d'argent de Potosi est devenue un des attraits principaux de la ville au niveau touristique, avec des visites organisées par beaucoup d'agences, et pourtant c'est plus un épreuve qu'une partie de plaisir.

Je suis parti avec un groupe d'une douzaine de personnes, dans la bonne humeur, ne connaissant pas les détails du tour mais sachant que cela durera entre 2 et 3 heures avec quelques passages difficiles dans les mines avec des endroits étroits, beaucoup de poussière et le conseil de ne pas le tenter pour les claustrophobes.

Nous partons donc vers la première étape de la visite : récupérer les tenues de protection. Bottes, casque ( qui m'aura sauvé plus d'une fois) avec lampe frontale, et combinaison, et on nous conseille de ne rien porter en dessous puisque les températures à l'intérieur seront d'une trentaine de degrés (pour les plus fraîches) et jusqu'à 44-45°. L'achat de foulard ou masque est fortement conseillé également pour se protéger des poussières pouvant être très irritantes (plus sur le long terme en général).
Tout cela annonçant un peu plus les conditions de notre "balade".

Place ensuite au "marché des mineurs", où les touristes sont amenés afin d'acheter quelques cadeaux aux travailleurs qu'ils rencontreront pendant la visite. Nourriture, eau, jus de fruits sont les plus classiques. Lampes et détecteurs de gaz explosifs sont les plus techniques. Feuilles de coca, alcool et dynamite sont les plus appréciés, tout cela étant en vente libre parfaitement légalement. "Même les enfants de 8 ans peuvent en acheter" nous dira un vendeur... Une fois dans ma vie j'aurai donc acheté et manipulé de la dynamite, et j'ai aussi acheté de l'eau et des feuilles de coca, c'est le plus utile et ça plait.

Dynamite et feuilles de coca, paré pour la visite !

Avant la visite de la mine à proprement parler, nous sommes passés par les établissement de traitement et extraction des minerais. Les mineurs travaillent principalement en coopérative, ou parfois seuls ou en petite équipe. Leur rendement est en moyenne le même, les grosses productions ramenant plus de roches mais moins de minerai, les petites ramenant moins de roche mais de meilleure qualité.
L'exploitation existant depuis très longtemps et se développant toujours plus, il est estimé que la mine sera épuisée d'ici moins de 50 ans. La ville et la région, s'active déjà pour trouver des solutions pour former et réorienter certains mineurs, dont l'exode a déjà commencé vers La Paz ou la région de Santa Cruz de la Sierra.







Cerro Rico, montagne abritant la mine d'argent



La mine est une véritable fourmilière. Les premières galeries s'étant creusées sans aucune règle, elles s'étaient répandues sans organisation, avec de nombreux accidents à la clé. Maintenant, les règles limitent les problèmes mais les galeries sont tellement nombreuses qu'il est impossible de savoir si tout est respecté et s'il n'y a pas des endroits où le sous-sol est plus fragile qu'ailleurs. La majorité des tunnels partent du Cerro Rico, la montagne aux couleurs impressionnantes, et on en trouve qui débutent, ou terminent, de l'autre côté de la ville, à plusieurs kilomètres, la traversant entièrement.

Nous nous apprêtons maintenant à entrer dans la mine par l'un des tunnels du Cerro Rico. La détente et l'excitation avec les blagues du guide, le début de la visite et l'achat de dynamite, sont toujours présents, mais l'appréhension de cette expérience a aussi fait son apparition avec les derniers conseils et recommandations.
Mais il faut bien se jeter dans le grand bain, avec un dernier sourire du guide qui nous dit : "Prenez une belle photo avant d'entrer dans la mine, ce sera peut-être votre dernière".

A l'entrée d'un tunnel, entre excitation et appréhension



Le plan est de faire 500m horizontalement pour entrer dans la mine, puis descendre de 55m en profondeur pour passer les niveaux 3 et 4, avant de poursuivre plus horizontalement dans le ventre de la montagne de quelques 400m de plus. Sur le papier, les distances ne sont pas si impressionnantes, mais dans le vif du sujet on réfléchit plus, et 55m de profondeur, en cas d'accident... comment on s'en sort???

A force d'avancer dans les galeries, debout, tête penchée, accroupi, dans le noir à la lueur des lampes frontales, avec la perte de repères, avec des poussières importantes par endroit, la perte de souffle avec l'effort et l'oxygène moins présent dans les galeries (déjà qu'à 4100m l'oxygène est raréfié), avec l'attention de ne pas se cogner la tête sur les roches, mais les pieds qui s'enfoncent dans l'eau, la boue ou qui glissent sur les pierres, ou inversement l'attention sur les pas pour s'assurer d'avancer et le bruit et les coups des roches contre le casque, le sentiment d'insécurité grandit, d'autant plus si on pense à divers scenarii d'accident possible, sans solution de secours évident...

Une galerie très spacieuse...

Si l'appréhension et l'insécurité grandissent après seulement 200m de tunnel, à continuer d'avancer en marchant tête baissée, dos courbé, accroupi, ou en rampant, même n'étant pas claustrophobe, je commençais à ne plus me sentir très bien, et à avoir du mal à respirer, avec les poussières et la chaleur étouffante. L'absence de conversation avec les autres m'empêchait de savoir où ils en étaient, mais les quelques regards échangés cachés sous les casques et masques de protections m'ont fait comprendre que je n'étais pas le seul à ne pas être très fier en ces lieux.

Avant de faire la descente verticale de 55m, la panique n'était peut-être pas loin, mais j'ai sérieusement commencé à me sentir en danger "Qu'est-ce que je fais là?" et je me suis dit que je devrais demander à rentrer, cela ne pouvant être que pire par la suite. Une pause pour discuter en groupe est intervenue, et a aidé à me calmer un peu, après tout, ils ont l'habitude, il ne faut pas que je pense plus à un éventuel accident, tout va bien se passer...






Un peu calmé et la curiosité reprenant le dessus (et après tout au point où j'en suis autant continuer et si quelque chose arrive au pire j'aurai eu une belle vie, j'aurai fait une moitié de tour du Monde,...), nous sommes donc descendu aux niveaux inférieurs, se cognant, rampant, glissant, suant, suffoquant et toussant dans la chaleur, la poussière et la boue.
Le club Med' Potosi.







Et le but étant tout de même de rencontrer des mineurs en plein travail, nous poursuivons la route dans les galeries horizontales pendant une "petite" demi-heure, passant par des endroits plus chaud (jusqu'à 45°).

En ce jour de lendemain de carnaval et de fête, l'activité est grandement diminuée mais nous avons la chance de trouver enfin un groupe de cinq mineurs. La rencontre est très sympathique, et la bienvenue (cela fait du bien de finalement voir des gens vivants, sous terre). Nous pouvons procéder à la classique (pour eux) et salvatrice (pour nous, c'est bon on peut rentrer maintenant !) remise des cadeaux.
Nous échangeons aussi quelques poignées de main et encouragements (en se demandant qui en a le plus besoin), et entamons quelques discussions pour connaître un peu plus leurs ressentis et conditions de travail au quotidien. Et voilà, ce qui pour nous est un enfer (visite touristique de 2 heures !), est pour eux un quotidien.

Certains gardent l'idée de construire un futur et d'économiser leur argent pour plus tard et pour aider leurs enfants. Beaucoup d'autres préfèrent profiter de la vie, de la bonne nourriture, de l'alcool, plutôt que de mettre de l'argent de côté et ne pas pouvoir en profiter s'ils venaient à mourir dans un accident. Les mineurs peuvent débuter à travailler très jeune, même parfois enfant, pour aider leurs parents ou n'ayant pas d'autre choix.
Tous consomment les feuilles de coca toute la journée, pour aider avec l'altitude et pour se "doper" plusieurs heures par jour, et certains boivent pour supporter les extrêmes conditions de ce travail et s'évader de la dure réalité.

Après l'appréhension, l'insécurité, le danger, la peur, on se sent juste touriste de nouveau, et con.







L'expérience reste forte, mais lorsqu'on a débuté la marche de retour, je me suis senti soulagé. Malgré le fait qu'il faille passer encore une demi heure sous terre pour s'en sortir, l'espoir de la fin est enfin là !

Dans une galerie voisine, nous tombons sur un autre groupe de mineurs, deux frères et un de leurs amis. Le plus jeune des frères a 17 ans. "Tu es très jeune pour travailler dans cette mine??!!". "Il a commencé à travailler il y a 4 ans, à 13 ans". "Ah ok...".




Dernière étape à quelques mètres de la sortie (c'est bon on a vu la lumière du jour au loin, on est sauvé, on peut se permettre de rester un peu plus!), avec la visite d'une pièce-musée, qui présente des personnages importants de l'Histoire de la mine.

Le diable, à qui les mineurs font des offrandes, chaque premier vendredi de chaque mois, pour qu'il soit aimable avec eux lors de leur séjour chez lui, sous terre.
Sir Francis Drake, un pirate anglais, anobli, belle performance.

Un des entrepreneur ayant contribué au développement et à "modernisation" de la mine, dont j'ai oublié le nom.

Un anonyme africain, représentant les nombreux esclaves amenés pour travailler dans les mines, mais n'ayant pas pu faire le travail à cause de l'altitude et des conditions trop difficile pour leur physique, et qui ont finalement été déplacé vers d'autres zones du pays pour travailler dans les marchés ou l'artisanat.

Nous sommes finalement sortis sains et saufs de cette visite touristique, enrichis d'une expérience humaine forte, qui est simplement le quotidien des mineurs de Potosi, pour qui je ne peux qu'avoir le plus grand respect.

Beaucoup de personnes en France, en Europe et ailleurs, devraient vivre cette expérience et y repenser ensuite avant d'oser se plaindre sur leur condition.
Je tâcherai de tourner au moins une fois ma langue dans ma bouche avant de la faire la prochaine fois...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire